Zyl racontée par...
別人眼中的施老師
 
 
 
Comment se souviendra-t-on de moi ? (Nicolas Puentedura)
 

Pour tous les profs de français, il y a un moment dans le cursus des débutants où l'on enseigne du vocabulaire pour la description du caractère d'une personne. Ici, à Taïwan, cela peut être simplement de longues listes d'adjectifs, de défauts et de qualités, avec leur traduction … ou alors ... pour les faire comprendre, plutôt qu'une traduction directe, il vaut mieux utiliser une phrase d'explication, une sorte d'illustration, un exemple avec, pourquoi pas, une personne : on dit « être riche comme Crésus » et le fils était prodigue … et moi, comment se souviendra-t-on de moi ?

Une personne qui a fait de nombreuses choses mais qui ne s'en vante pas, qui ne le crie pas sur tous les toits à chaque fois qu'elle rencontre une nouvelle personne, des personne qu'elle pourrait impressionner en étalant ses réussites, cette personne est une personne modeste :

Quand j'ai rencontré Françoise, je ne savais pas qui elle était ! Je ne me souviens même pas exactement quand a eu lieu notre première rencontre. Ce n'est que petit à petit que j'ai appris qu'elle était professeur à l'université Nationale de Taïwan et patronne de la librairie du Pigeonnier. Il m'a fallu encore plus longtemps pour savoir qu'elle avait été une pionnière de l'enseignement du français à Taïwan et qu'elle avait réalisé une émission pour l'enseignement à la télévision … et je ne l'ai jamais appris par elle même. Ce n'est pas qu'elle n'était pas, un peu, bavarde ! Mais plutôt que de commencer une conversation en parlant d'elle-même, elle demandait toujours des nouvelles de son interlocuteur et si après la conversation revenait vers elle, elle ne refusait pas de parler de son expérience, de sa vie mais, modestement, sans exagération et en remettant toujours les choses en perspective … Je me souviens aussi du jour où nous avons eu une longue conversation à propos de bandes dessinées : c'était au début, quand le magasin de cartes postales s'est transformé en librairie, elle m'a avoué ne pas y connaître grand chose et me demandait conseils pour savoir quoi mettre dans le rayon BD du Pigeonnier … à combien d'autres personnes a-t-elle, modestement, reconnu ses limites, ses lacunes ?

Une personne qui accepte de donner sans attendre un retour, immédiat ou sur le long terme, sans exiger quelque chose en échange, qui donne quand elle-même n'a pas de « trop », cette personne est une personne généreuse :

Je suis français et j'aime le fromage … Françoise aussi était gastronome ! On l'est tous un peu mais trouver du 'bon' fromage ici à Taipei mange encore une partie de mon budget ! Comparativement au prix en France, le fromage est cher … mais encore une fois, c'est normal, les bonnes choses ont un prix, doublement quand elles viennent de France, alors le gastronome (qui a dit gourmand ?) apprend à se modérer … Vraiment ? Mais alors, que dire des buffets offerts aux yeux et à la bouche des invités lors des nombreuses activités organisées régulièrement, tout au long de l'année, par Françoise et son équipe du Pigeonnier ? C'était fromage, charcuterie, fruits, amuse-gueules et hors-d'œuvre à profusion ! Sans oublier la boisson, de bonnes bouteilles de derrière les fagots ! Et ça, plusieurs fois par an … il y avait toujours une bonne occasion pour faire la fête : séance de signature, conférence, salon du Livre, Lire en Fête, fête de la Francophonie … toutes les excuses étaient bonnes pour lancer des invitations à venir se retrouver pour discuter littérature en piquant dans des assiettes bien remplies ! Devrait-on en conclure que les affaires de cette petite boutique de livres étaient si rentables que de telles dépenses en nourriture n'étaient qu'un investissement calculé pour attirer le client lecteur, futur acheteur de rayons entiers pour sa bibliothèque, tout magasin tirant un profit sur le long terme de cette sorte d'activité de promotion de son image, non ? Malheureusement non, j'ai pu assister parfois aux bagarres de derrière les coulisses entre Françoise, le cœur sur la main, et les employés du Pigeonnier, avec les yeux sur les cordons de la bourse ! Car pour elle, ce n'était jamais trop, ce n'était jamais assez ! Elle voulait que tout le monde profite de la vie autant qu'elle pouvait en profiter, sans garder le meilleur au fond d'un placard, pour 'plus tard' ! Chaque 'plus tard' devait se vivre 'maintenant' ...

Une personne qui fait ce qu'elle aime faire, qui vit sa vie jusqu'au bout en faisant ces choses qu'elle aime, les choses qui lui semblent importantes, qui cherche à donner du plaisir aux autres en faisant ce qu'elle aime, cette personne est une personne passionnée :

Créer une librairie française à Taïwan, vendant presque exclusivement des livres français, cela peut paraître un pari un peu fou, un peu risqué, on imagine mal le marché, le potentiel de clients pour assurer la rentabilité économique d'une telle entreprise et pourtant … le Pigeonnier est là depuis 11 ans, grâce à la ténacité ? Au courage ? À l'entêtement ? Ou à la passion de Françoise ? Cette passion se traduisait par de l'énergie et des envies à revendre, toujours 10 projets en cours, en même temps ! Il était dur parfois de la suivre et elle était aussi exigeante avec les autres qu'elle pouvait l'être avec elle-même mais en faisant confiance aussi. Combien de fois je me suis retrouvé embrigadé pour aller tourner la manivelle de son orgue de barbarie et 'crier' de vieilles chansons qu'il a fallu que j'apprenne en demandant à mes grand-parents de me fredonner les mélodies ! Et pourtant, impossible de lui dire 'non' tellement on voyait qu'elle en avait envie de ces chansons, autant pour elle que pour le public 'aléatoire' de l'occasion. Je l'ai vue aussi donner des cours à l'université, dans des salles surpeuplées, les étudiants, il y en avait qui venaient parce qu'ils n'avaient pas le choix, mais la plupart revenait pour le plaisir d'apprendre, chose si rare aujourd'hui ! Avaient-ils attrapé ce virus avec Françoise ? Souvent je me dis un peu surement …

Tant et si bien que maintenant qu'elle n'est plus là, on peut faire les comptes et voir combien de passionnés de français il existe à Taïwan aujourd'hui, à cause d'elle … C'est sa faute si tant de gens croient encore que le français a sa place ici, à Taïwan, si loin de Paris, et si une librairie française peut y survivre, y exister et même y prospérer ! C'est la faute à sa modestie, à sa générosité et à sa passion de vivre si je me souviens d'elle ! Suis-je le seul ? C'est sa faute si je fais de mon mieux, espérant qu'un jour, lointain, on se rappellera de moi comme de son exemple à suivre …