Quel est le dieu des chretiens? Quelles en sont les caracteristiques? Quelle en est la singularite? A ce sujet vaste et quelque peu intimidant, le philosophe Remi Brague repond en sept chapitres concis, informes, stimulants. Que Dieu soit bien au-dela des representations que l'on s'en fait, c'est une affaire entendue, mais cela ne justifie pas pour autant les approximations et les confusions qui sont de mise aujourd'hui des qu'on aborde les questions religieuses. Car tout le monde ne se fait pas de Dieu la meme idee, et celle que s'en font les chretiens est, au fond, plutot surprenante. Qui est alors ce dieu, et qu'en pouvons-nous connaitre? Il est un, mais pas de n'importe quelle facon; il est pere, mais non pas male; il a parle, mais pas pour nous demander quoi que ce soit; il pardonne, mais sans ignorer la decision de notre liberte. Au terme de cette enquete, le lecteur pourra accepter ou refuser le dieu des chretiens ; dans les deux cas, il le fera en connaissance de cause.

Rmi Brague est professeur de philosophie mdivale l'universit de Paris 1 Panthon-Sorbonne et la Ludwig-Maximilin Universitt de Munich. Il est l'auteur d'une centaine d'essais, dont La Loi de Dieu (Gallimard, 2005), Au Moyen du Moyen Age (La Transparence, 2006 ; Champs-Flammarion, 2008) et Introduction au monde grec (La Transparence, 2005 ; Champs-Flammarion, 2008). " La grande qualit du livre de Rmi Brague, c'est d'ouvrir l'esprit, au-del de tout prjug, cette mesure et ce mystre qui nous invitent hors de nous-mmes. "(Le Monde des livres).

Trois expressions ont depuis quelques annes envahi les mdias, l o il s'agit de religion. Il y est question, justement, chaque fois de trois choses : les trois monothismes, les trois religions d'Abraham, les trois religions du livre. Il est difficile de parcourir un organe de presse, d'allumer un poste, confessionnel ou non, sans s'y voir ou entendre asse­ner comme une vidence telle ou telle de ces formules, si ce n'est les trois. un niveau plus honorable, les livres qui portent ce titre ou qui le contiennent, et qui sont d'ailleurs parfois de bonne qualit, se sont multiplis depuis les annes 1980.
Il serait intressant d'tudier l'histoire de ces expressions, ce que je n'ai pas eu le courage d'entreprendre. Je suis en tout cas tent d'observer, sous bnfice d'inventaire, que la gnalogie de ces expressions pourrait trs bien remonter jusqu'au Moyen Age ; et plus prcisment, jusqu' l'ide d'associer judasme, christianisme et islam, non pas dans une commune sympathie, mais bien dans une commune dnonciation. De la sorte, ce qu'on appelle aujourd'hui les trois religions ne serait gure que le dernier avatar de ce que l'on attribuait jadis aux trois imposteurs : Mose, Jsus et Mahomet, censs avoir tromp l'humanit !
On peut de toute faon supposer qu'on a forg plus rcemment ces expressions, et qu'on continue les utiliser aujourd'hui, pour des motifs nobles : elles reprsenteraient entre les religions en question un point commun, ventuellement un terrain d'entente pour la pratique.
Mon prsent propos est de montrer que ces trois expressions sont la fois fausses et dangereuses. Elles sont fausses parce qu'elles recouvrent chacune une erreur trs grave sur la nature des trois religions que l'on prtend ainsi ramener sous un mme toit. Elles sont dangereuses parce qu'elles encouragent une paresse intellectuelle qui dispense d'examiner de prs la ralit. Je les examinerai ici dans l'ordre, et en commenant par l'ide de monothisme.

I. Trois monothismes ?

Le terme de monothisme vient du dehors, non de l'intrieur des religions. Les monothismes ne s'appellent pas eux-mmes ainsi. Certes, certaines expressions se laissent traduire ainsi, comme l'arabe tawhd, affirmation que Dieu est un - mot qui a pris par extension un sens voisin de thologie. la rigueur, on rencontre depuis quelques dizaines d'annes une caractrisation du judasme par des Juifs eux-mmes comme monothisme thique, expression peut-tre due au rabbin allemand Lo Baeck (1873-1956).
Le terme de monothisme est n assez tardivement, au XVIIe sicle plus prcisment, sans doute chez Henry More, l'un des thologiens platonisants de Cambridge, qui l'emploie en anglais en 1660. Sa carrire postrieure s'accomplit plus chez les philosophes que chez les thologiens, et peu prs jamais comme expression de la pit des simples croyants. --Ce texte fait rfrence une dition puise ou non disponible de ce titre.

Comment, par exemple, en une poque o le pluralisme "bnficie d'un prjug favorable", o la tolrance est perue comme une vertu minente, faire droit une religion qui confesse absolument un "seul vrai Dieu", qui introduit un mystre o la mesure n'est pas fixe par l'homme ? "Concevoir Dieu sur le modle du monde cr" et des catgories de la pense humaine, c'est se condamner " rester la surface des choses", instrumentaliser le divin. La grande qualit du livre de Rmi Brague, c'est d'ouvrir l'esprit, au-del de tous les prjugs, cette mesure et ce mystre qui nous invitent hors de nous-mme. (Patrick Kchichian - Le Monde du 24 avril 2008 ) --Ce texte fait rfrence une dition puise ou non disponible de ce titre.