" Il a caressé des petits serpents très doux ; il parlait toujours. Le mégot brûlait son doigt ; il a pris sa dernière bouffée. Le premier soleil l'a frappé, il a chancelé, s'est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe ; il s'est souvenu de chairs de femmes, de regards d'enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux ; il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu'un, tout a pris sens, il est retombé mort. "
Huit vies. Huit noms, à peine écrits en titre des chapitres, déjà tombés en désuétude. Pierre Michon pénètre les vies de ses ancêtres, anodines, infimes, parcellaires : minuscules. Malgré ou à cause de l'insuffisance des existences, l'écrivain défriche, le temps de l'écriture, ces vains terrains vagues qu'envahissent à nouveau les mauvaises herbes de l'insipide dès la plume reposée. Nul apitoiement. De la dureté plutôt, si elle ne se mêlait à une indescriptible émotion. Compatissante ? Empathique plutôt car Michon ne saurait s'épargner lui-même. Pour dire l'insignifiance déchirante de ces destins, la langue, curieusement, est chatoyante, dense, le récit profus, riche en références : dérision ultime lancée par l'auteur, soubresaut révolté du dire défectueux, inachevé, impuissant comme le reste à retenir l'éphémère.
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